L’importance croissante des actifs numériques a conduit le législateur et l’administration fiscale à s’intéresser aux enjeux fiscaux qui y sont associés (il y a plusieurs années déjà). Cet article à portée plutôt générale propose un rappel des principes de base de la fiscalité des plus-values réalisées en cryptomonnaies. Pour les non-initiés, il constituera une bonne entrée en matière pour se familiariser avec le sujet.
Les actifs numériques, au premier rang desquels le Bitcoin, n’ont cessé d’attirer de plus en plus d’investisseurs et de particuliers, affichant des volumes de transactions et des cours records. Autre nouveauté, le payement en cryptomonnaie commence à être accepté par de plus en plus d’acteurs.
Ce succès et cette généralisation ne sont pas sans poser d’importantes questions fiscales : imposition des plus-values de cession, conséquences lorsqu’un achat en ligne est payé au moyen de cryptomonnaie ou encore formalités déclaratives.
Le législateur et l’administration fiscale se sont saisis de ces questions et nous disposons désormais de nombreuses réponses. Celles-ci, en plus d’être souvent complexes, sont largement méconnues, exposant ces particuliers à des redressements fiscaux. Ces règles figurent dans le Code général des impôts aux articles 150 VH bis et 200 C ainsi qu’au BOFIP BOI-RPPM-PVBMC-30. Nous nous proposons ici d’en rappeler les grandes lignes. Ces règles visent toutes les personnes physiques ayant leur résidence fiscale en France, quelle que soit la localisation des plateformes au travers desquelles les opérations sont effectuées.
Attention à la fréquence et au volume des transactions
En premier lieu, il convient de distinguer les plus-values réalisées à titre occasionnel de celle réalisées à titre habituel. Les premières sont soumises à la flat tax (taux forfaitaire de 30% comprenant l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux) tandis que les secondes seront soumises au taux marginal du foyer pour l’impôt sur le revenu (dans la catégorie des BIC) et au taux de 17,2% pour les prélèvements sociaux (CSG, CRDS, etc.).
Les particuliers réalisant des opérations en cryptomonnaie devront donc se montrer vigilants sur le caractère occasionnel ou habituel de leurs opérations. Même si la distinction entre le caractère occasionnel et le caractère habituel est peu aisé et source d’une grande insécurité, il existe des pistes pour réduire le flou (cf. cet article dédié).
L’administration fiscale aura en effet intérêt à qualifier les opérations d’habituelles pour pouvoir imposer les gains dans la catégorie des BIC avec une fiscalité bien supérieure à celle de la flat tax (la fiscalité peut excéder 65% d’impôts et de prélèvements dans la catégorie des BIC).
A noter, comme nous le rappelions ici, que pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2023, les « professionnels » seront imposés non plus dans la catégorie des BIC mais dans celle des BNC.
Quelles sont les opérations qui déclenchent l’imposition ?
Qu’en est-il des opérations donnant lieu à imposition ? Il s’agit des cessions, bien sûr, mais aussi des échanges avec soultes (exemple : échange 1 Bitcoin contre 20 000 Ethereum + 5 000 euros) et aussi des achats de biens ou de services payés en cryptomonnaie (exemple : achat d’une tablette tactile en ligne payée en cryptomonnaie).
Toutes ces opérations sont susceptibles de générer une plus ou moins-value qui sera prise en compte pour le calcul de l’impôt. À noter toutefois que les échanges sans soulte bénéficient d’un sursis d’imposition. Ces opérations d’échange ne sont donc pas imposables immédiatement, mais le deviendront lorsque le produit reçu en échange fera l’objet d’une cession.
Quel est le montant soumis à l’impôt ?
Les règles relatives au calcul de la plus-value imposable sont particulièrement originales et complexes. Elles reviennent à considérer tous les actifs numériques détenus comme une masse dont la situation est positive ou négative.
En effet, pour chaque opération imposable, la plus ou moins-value réalisée est égale à la différence entre :
- le prix de cession ou la valeur de la contrepartie en biens ou services obtenue par le cédant, et
- le produit du prix total d’acquisition de l’ensemble du portefeuille d’actifs numériques par le quotient du prix de cession sur la valeur globale de ce portefeuille.
- Un exemple plus loin permettra d’illustrer de manière concrète.
Précisons que le prix total d’acquisition du portefeuille d’actifs numériques et égal à la somme des prix acquittés à l’occasion de l’ensemble des acquisitions réalisées avant la cession. Il est réduit de la somme des fractions initiales contenues dans la valeur ou le prix de chacune des différentes cessions réalisées antérieurement.
Autre point très important et source de complications : le « portefeuille d’actifs numériques » s’entend de l’ensemble des actifs numériques détenus ou ayant été détenus par le cédant et les différents membres de son foyer fiscal et ce, quel que soit le support de conservation (plateformes d’échanges, y compris étrangères, serveurs, stockage hors-ligne, etc.).
Compte-tenu de ces règles, la valorisation du portefeuille doit s’effectuer à chaque fois qu’une opération imposable intervient : cession, échange avec soulte, etc. et le montant doit être déterminé pour sa valeur en euros.
Exemple
Pour mieux comprendre, illustrons par un exemple (les chiffres ne sont pas réels) :
Un particulier achète en janvier N trois Bitcoins pour un montant de 6 000 euros. En avril, il échange un Bitcoin contre 25 Ethers, cette opération d’échange sans soulte n’est pas imposable. En janvier de l’année suivante, il cède ses deux bitcoins pour une montant de 5 000 euros mais conserve ses 25 Ethers qui ont une valeur de 10 000 euros. Au moment de cette cession, la valeur de son portefeuille s’élève à 5 000 euros (2 Bitcoins) + 10 000 euros (25 Ethers) = 15 000 euros.
La cession de ses deux Bitcoins génère une plus-value de 5 000 – 6 000*(5 000/15 000) = 3 000 euros.
Imposition de la plus-value latente ?
Dans notre exemple, les deux Bitcoins revendus 5 000 euros ont été achetés pour 4 000 euros. Intuitivement, on pourrait donc penser que la plus-value s’élève à 1 000 euros. Or compte-tenu des règles en vigueur, la plus-value imposable s’élève au triple de ce montant.
Cela tient au fait que le mode de calcul de la plus-value revient à prendre en compte une partie des plus-values latentes sur les cryptoactifs non encore cédés. Le portefeuille d’actifs numériques forme une seule masse, quelques soient les actifs qui le composent effectivement. La plus ou moins-value s’apprécie au niveau global et non pas par cryptomonnaie. Voilà pourquoi l’on peut vendre un cryptomonnaie à perte tout en dégageant une plus-value imposable et inversement.
On pourrait imaginer que la plateforme d’investissement propose le service de calcul des plus-values en fournissant à l’investisseur une information déjà formatée pour compléter la déclaration de revenus. Malheureusement cela est impossible puisque le portefeuille d’actifs numériques s’apprécie comme la masse de tous les actifs numériques détenus, tous supports confondus et par tous les membres du foyer fiscal. C’est donc au contribuable lui-même de faire le travail. Et encore, l’exemple ci-dessus est relativement simple dès lors qu’il n’y a qu’une seule cession. N’oublions pas qu’à chaque opération imposable, il conviendra de calculer le prix total d’acquisition du portefeuille et d’en déduire les fractions de capital déjà contenues dans les prix de revient des cessions antérieurs. Un suivi dans le temps, avec un historique complet, est donc indispensable.
En pratique : un casse-tête ?
On le comprend, cela peut donc vite tourner au casse-tête. Nul doute que de nombreux particuliers ne pourront pas réaliser cet exercice fastidieux, par méconnaissance des règles, d’une part, mais aussi en raison de leur incapacité à retracer toutes les transactions (information non disponible ou trop grand volume).
Les entreprises Waltio et Coqonut l’ont compris et proposent à leur client un service de traitement automatisé des opérations en cryptomonnaies.
Sort des moins-values
Précisons que les moins-values brutes subies au cours d’une année sont imputables exclusivement sur les plus-values brutes de même nature réalisées par le redevable (foyer fiscal) au titre de cette même année. Si la somme des opérations dégage une moins-value nette sur l’année, celle-ci est perdue : elle ne pourra pas être imputée sur les autres revenus du foyer ni être reportée sur les éventuelles plus-values ultérieures.
Un régime différent pour les gains tirés de l’activité de minage
En outre, les gains tirés de l’activité de minage sont imposables dans la catégorie des BNC, c’est-à-dire au taux marginal de l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux au taux de 17,2%. Ils sont donc imposés différemment des gains de cession réalisés à titre occasionnel.
Là encore le casse-tête n’est pas loin puisqu’un utilisateur qui recevrait des cryptomonnaies au titre du minage puis les revendrait ultérieurement en réalisant une plus-value verrait sont gain total réparti en deux composantes imposées différemment. Autre conséquence : si postérieurement au minage et au gain qui en résulte la cryptomonnaie chute et que l’utilisateur réalise une moins-value à l’occasion d’une cession, celle-ci ne devrait pas pouvoir s’imputer sur le gain de minage qui sera imposé distinctement.
Conserver l’historique est indispensable
Dans le cas où le vendeur n’est pas en mesure de justifier le prix d’acquisition, celui-ci est réputé être nul : autrement dit, la totalité du prix de cession sera assimilé à un gain. Il est donc indispensable de conserver l’historique de ses transactions pour ne pas se retrouver dans cette situation pénalisante.
Exonération d’impôt pour les (très) faibles volumes
Les contribuables sont exonérés lorsque la somme des prix de cession, hors opération d’échange en sursis d’imposition, n’excède pas 305 euros au cours de l’année.
Opérations réalisées par l’intermédiaire d’une société interposée
Précisons aussi que dans le cas où les opérations en cryptomonnaies sont réalisées au sein d’une société non soumise à l’impôt sur les sociétés, ce sont les mêmes principes qui s’appliqueront et les plus-values seront soumises à l’impôt au niveau des associés à hauteur de leur quote-part respective.
Il en va différemment, bien sûr, des gains réalisés au sein de sociétés soumises à l’impôt sur le société.
Des formalités déclaratives lourdes
Les particuliers devront compléter un imprimé spécial dédié à la détermination des plus-values de cession d’actifs numériques (imprimé n° 2086) qui permet de retracer, opération après opération, le montant soumis à l’impôt. Ils devront en outre conserver tous les justificatifs pour répondre aux éventuelles demandes de l’administration fiscale.
En outre, les particuliers sont tenus de déclarer les références des comptes d’actifs numériques qu’ils détiennent auprès d’établissement situés à l’étranger (c’est le corolaire de la déclaration des comptes bancaires ou contrat d’assurance vie détenus hors de France).
Le manquement à cette obligation déclarative est passible d’une amende de 750 euros par compte non déclaré (125 euros en cas d’inexactitude ou omission), voire d’une amende de 1 500 euros lorsque le compte non déclaré présente un solde supérieur à 50 000 euros.
Pour aller plus loin :
Matthieu Lafont, Avocat à la Cour, Associé chez Lafont & Associés
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