Suivi de près à l’échelle internationale, l’adoption du Bitcoin comme monnaie légale est le signe d’une rupture avec le système monétaire traditionnel et apporte son lot de nouveautés notamment dans la pratique de la politique monétaire.
Malgré les avertissements exprimés par le FMI et la Banque Mondiale sur les conséquences néfastes d’une telle initiative, Nayib Bukele, président du Salvador, a décrété envers et contre tous, le bitcoin comme monnaie nationale (en savoir plus).
Depuis la crise sanitaire, le pays voit ses exportations en baisse et la dollarisation de son économie se matérialiser par une baisse de la compétitivité de ces exportations, alors que ses importations augmentent. Ainsi, l’objectif est d’encourager l’économie locale et développer la classe moyenne afin de redresser économiquement le pays grâce au Bitcoin (en savoir plus). Dans cette adoption, le président du Salvador y voit également un levier pour favoriser les transferts venus de l’étranger, soit 20 % de son PIB.
Néanmoins, depuis ce jour, la politique Bitcoin menée par le pays semble hasardeuse et provoque la défiance des investisseurs sur le marché financier de la dette publique traditionnelle.
Une politique jugée hasardeuse
Comme toutes les institutions, aux États-Unis et en Europe, les banques centrales sont indépendantes et ont pour missions de fournir un système de compensation et de paiement, de contrôler l’évolution de la masse monétaire et de maintenir un équilibre des parités de changes.
Il existe tout de même des différences d’approche concernant les rôles et les responsabilités.
Grosso modo, aux États-Unis l’objectif premier est de favoriser la croissance puis, de limiter l’inflation et de mener des politiques en faveur du plein emploi. En Europe, on va d’abord chercher à garantir la stabilité des prix et donc limiter l’inflation.
Les outils utilisés pour exécuter leurs politiques sont similaires à quelques différences près.
La FED et l’Eurosystème (BCE + Banques Centrales Nationales(BCN)) utilisent les principaux leviers suivants :
- Les opérations d’open market qui permettent aux Banques Centrales d’agir directement sur la masse monétaire en circulation ainsi que sur les actifs financiers
- La politique des taux directeurs pour faciliter ou resserrer l’accès au crédit
- Les réserves obligatoires qui permettent de contrôler la masse monétaire en circulation et de limiter l’expansion trop importante du crédit
Dans le cas du Salvador, on s’écarte complètement de cette logique. Même si Nayib Bukele souhaite jouer la carte de la discrétion, on a quand même des éléments de comparaison, qui se révèle être, pour le moins étonnants.
La politique monétaire est liée directement au gouvernement. C’est le cas dans certains pays comme la Chine. La particularité de ce mode de fonctionnement réside dans la manière de conduire cette politique et les résultats qui en découlent. En effet, le président du Salvador achète du Bitcoin sur les marchés, directement sur son téléphone portable. Or, selon Bloomberg, ses achats auraient fait perdre, environ 12 millions de dollars (source). De plus, le président n’hésite pas à poster sur Twitter des prédictions sur le cours futur du Bitcoin sans y mettre le fond et la forme (études, analyses chiffrées…). Une stratégie de conservation et/ou d’optimisme que l’on retrouve parfois chez certains CEO comme Elon Musk et qui s’écarte fondamentalement de la posture des banquiers centraux.
On le sait, la posture adoptée par le président est plutôt décontractée. Elle tranche avec la posture traditionnelle probablement du fait de son jeune âge et du changement de paradigme dans lequel il s’inscrit. Cependant, cela reste inhabituel et peu conventionnel pour une scène internationale habituée à une certaine solennité.
En outre, la stratégie adoptée reste floue. Jusqu’à ce jour, aucune information n’a été réellement communiquée. Par exemple, on ne peut, à ce jour, déterminer dans quelle mesure, le wallet sur lequel l’argent du pays (en bitcoin) est sécurisé (source).
Des investisseurs peu rassurés
Tous ces éléments renvoient un message qui n’est pas du goût des investisseurs et rend difficile, l’accès du Salvador au marché de la dette souveraine.
Sur le marché monétaire, les obligations émises par les États considérés comme résilients et stables ont généralement des taux bas (de l’ordre de 0 à 3 %) qui traduisent la bonne santé du pays or, l’obligation du Salvador de 800 millions de dollars à échéance 2023 avait un taux de rendement (risque) de 35 % à date du 14 janvier 2022 selon Decrypt. Par ailleurs, Moody’s a abaissé la note de ces obligations à cca, ce qui signifie que le crédit est considéré comme trop risqué et les obligations émises, comme étant “spéculatives, de très mauvaises qualités” avec un “niveau de risque de crédit très élevé” (source). On pouvait s’attendre à cela, tous ces évènements étaient prédictibles. En effet, les signaux étaient déjà au rouge au moment de l’adoption du Bitcoin (en savoir plus).
Avec l’adoption de cette cryptomonnaie, le président prend le pari de se défaire des canaux traditionnels pour tout miser sur l’émission de « Bitcoin Bond » d’une valeur de 1 milliard de dollars, en partenariat avec Blockstream et Bitfinex, afin de financer son projet de développement “Bitcoin City” (en savoir plus). Seul l’avenir nous dira si c’est un pari gagnant. En tout cas, au niveau national, malgré des débuts difficiles (en savoir plus), 4 millions de personnes ont adopté Chivo d’après une déclaration du président faite en début d’année et actuellement, il semblerait que l’adoption soit en forte augmentation, affaire à suivre.
- En savoir plus sur la politique monétaire menée en Europe ici
- En savoir plus sur la politique monétaire menée aux États-Unis ici