Alors que l’investissement dans le secteur crypto a atteint un record : près de 5 000 milliards de dollars investis, la Russie s’apprête à reconnaitre le Bitcoin et les cryptomonnaies comme monnaie étrangère. Ceci constitue un grand pas dans son adoption à l’échelle international.
Pour autant, cette nouvelle nous interroge sur les raisons d’une telle initiative, car auparavant, la Russie était plutôt en défaveur des cryptomonnaies et le Pays avait eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet. Alors, qu’est-ce qui a amené la Russie à vouloir les reconnaitre en tant que monnaies étrangères ?
Un avantage comparatif lié au minage de Bitcoin
En décembre dernier, la banque centrale de la Fédération de Russie avait souligné le caractère volatil des crypto et appelé à la prudence, la Banque Centrale de Russie se disait prête à interdire le Bitcoin.
Alors que le gouvernements suivait les recommandation de la Banque centrale, sa position a changé malgré un rapport délivré par la Banque Centrale de la Fédération de Russie qui faisait état de la dangerosité des crypto pour la stabilité financière du pays.
En février 2021, le ministre de la Russie annonce que les banques devraient autoriser la vente de bitcoin.
Peu de temps après, le gouvernement Russe est prêt à reconnaitre le Bitcoin et les cryptomonnaies comme des monnaies étrangères en soulignant que ce qui pose problème, c’est une adoption généralisée des cryptomonnaies.
La reconnaissance des cryptomonnaies comme monnaies étrangères entre dans la continuité de la reconnaissance du minage de Bitcoin comme un avantage concurrentiel.
Pour bien comprendre le contexte dans lequel s’inscrit ce revirement, remontons à septembre 2021. À ce moment-là, la Chine a rendu illégal les cryptomonnaies et le minage de Bitcoin sur son territoire, poussant ainsi, les mineurs de Bitcoin à se tourner vers d’autres pays pour continuer à exercer leur activité.
Suite à cet exode, la Russie a vu sa part de marché augmenté de 61%, devenant ainsi le troisième pays mineur de Bitcoin dans le monde avec un hashrate (puissance de calcul utilisée dans le minage de Bitcoin) de 10,3% en aout 2021 (source).
Pour autant, la Russie continuait de maintenir une politique restrictive des cryptomonnaies en avançant les mêmes arguments que la Chine. En l’occurrence, pour le minage de Bitcoin, le pays faisait état d’objectifs de réduction carbone contraire, à l’exploitation minière du Bitcoin et avançait comme argument à l’appui, la nécessité de lutter contre les fraudes et le blanchiment d’argent.
En décembre 2021, la Russie déclarait être venu à bout de “Revil Crypto Ransomware”, un groupe qui était au centre de plusieurs attaques liées à la cryptographie. Un révélateur de la lutte active, menée par le gouvernement contre les fraudes (source).
Néanmoins, sous l’impulsion d’un certain nombre de personnes au gouvernement comme le ministre des Finances, Anton Siluanov, on a un changement de position à 90° : le gouvernement se place désormais en faveur des crypto du minage de Bitcoin et à déjà esquissé les contours d’un projet de loi visant à reconnaitre les cryptomonnaies non pas comme des instruments financiers, mais comme des monnaies étrangères à l’instar de l’Euro ou du Dollar.
Anton Siluanov est en effet, plutôt favorable au crypto et en particulier au Bitcoin. Il avait déclaré qu’interdire le Bitcoin revenait à interdire internet.
Récemment, le président de la Russie, Vladimir Poutine a évoqué les avantages concurrentiels qu’occasionnait la place de la Russie dans le minage du Bitcoin (3ᵉ mineur de Bitcoin) lors d’une rencontre avec les membres du gouvernement (source).
Cependant, est-ce la seule raison ? Actuellement, il existe un climat géopolitique tendu entre la Russie et l’Occident, concernant le dialogue amorcé avec l’Ukraine pour une entrée prochaine dans l’OTAN. Or, le gouvernement Russe a annoncé la nouvelle au lendemain de sa rencontre avec le président Macron.
Une stratégie d’alignement avec l’Ukraine ?
La vision et les intérêts de la Russie ont considérablement changé depuis une trentaines d’années.
Aujourd’hui, la fédération de Russie se place en opposition avec l’Occident et en particulier contre les États-Unis.
En 1999, lorsque Poutine a remplacé Eltsine à la tête du pays, les relations entre l’OTAN et la Russie continuaient de se dégrader. L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et sa force militaire, menée par les États-Unis, continuait à s’étendre à l’Est alors que sa création était initialement motivée par une volonté de lutter contre l’URSS – Union des Républiques Socialistes Soviétiques et les autres régimes communistes situés à l’EST durant la “Guerre Froide” qui a commencé après la Seconde Guerre Mondiale en 1945 et s’est terminée avec la chute de l’URSS en 1991.
“La Guerre froide” est l’appellation donnée aux tensions géopolitiques qui existaient entre les États-Unis et ces alliés : la majorité des pays situés à l’Ouest du globe “bloc de l’Ouest” contre l’URSS et le bloc de l’Est, à savoir les autres régimes communistes situés à l’Est du Globe comme la Chine.
Historiquement, on considère que la Guerre Froide a réellement débuté lors du blocus de Berlin, au moment où les Soviétiques bloquaient l’accès à Berlin aux États-Unis, au Royaume-Uni et à la France en 1948. C’est alors que s’est formé l’OTAN, une organisation dans laquelle ces pays ont mis en commun leur forces politiques et militaire pour ne former qu’un face à la répression soviétique.
Précisément, selon les dires du secrétaire général à l’époque, Lord Ismay, le rôle de l’OTAN consistait à « garder les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur et les Allemands sous tutelle ».
Mais la fin de la guerre froide en 1991, n’a pas signé la fin à l’OTAN ou même de son organisation. L’OTAN a continué de fonctionner sans véritable changement et à s’étendre à l’Est. Dès 1999, la Hongrie, la Pologne et la République Tchèque intègrent l’OTAN. La Russie y voit une volonté des États-Unis d’étendre son hégémonie et de construire un ordre politique international dans lequel la Russie serait laissé pour compte.
C’est alors, que la Russie adopte une position conservatrice vis-à-vis de l’Occident avec l’annexion de la Crimée en 2014 puis récemment, en brandissant la menace de l’annexion de l’Ukraine suite au rapprochement entre ce dernier et l’OTAN dans l’optique d’une prochaine inclusion de l’Ukraine dans l’OTAN, avec déjà 11 pays de l’Est devenus membres.
Jusqu’à présent, la politique crypto en Russie se rapprochait de celle menée par la Chine. Comme susmentionné, la Russie a toujours exprimé de la défiance à l’égard des crypto.
Cette décision pourrait également être motivée par le conflit lattent entre l’Occident et la Russie concernant l’entrée prochaine de l’Ukraine dans l’OTAN. En effet, suite à la menace d’annexion de l’Ukraine par les forces militaires russe, de vives tensions apparaissent entre les États-Unis et la France. De plus, une adoption des cryptomonnaies s’accompagne généralement d’un volet dédié à sa taxation, Quel que soit le qualificatif qu’on lui donne car, les cryptomonnaies sont utilisées dans des transactions financières.
Par conséquent, la reconnaissance des cryptomonnaies comme monnaies étrangères et l’encadrement légal du minage pourrait représenter une source monétaire non négligeable pour la Fédération, face à d’éventuelles sanctions économiques, mais pourrait être aussi une stratégie de rapprochement avec l’Ukraine, où l’adoption était déjà palpable (source) et où le Bitcoin et les cryptomonnaies viennent d’être légalisées (source).
Un conflit d’intérêts entre le gouvernement et la Banque centrale ?
Fin janvier 2022, à l’occasion de la rencontre avec les membres du gouvernement, la crypto a été le premier sujet abordé. Le président avait pris le soin d’évoquer les efforts menés par sa Banque Centrale dans le développement de la technologie, avant de mettre en avant, la nécessité de revoir sa position vis-à-vis des crypto étant donné les avantages concurrentiels qu’apporte le minage de Bitcoin sur le territoire.
Voici les mots du Président lors de cette rencontre :
“Je dirai juste quelques mots, je suis au courant des discussions en cours sur cette question. Ces questions sont traitées et réglementées par la Banque centrale de la Fédération de Russie. La Banque centrale ne s’oppose pas à notre progrès technique et fait les efforts nécessaires pour introduire les dernières technologies dans ce domaine d’activité.”
“Quant aux crypto-monnaies, la Banque centrale a sa propre position, elle est liée au fait que, selon les experts de la Banque centrale, l’expansion de ce type d’activité comporte certains risques, et tout d’abord pour les citoyens du pays, compte tenu de la forte volatilité et de certains autres composants de ce sujet. Bien que, bien sûr, nous ayons également certains avantages concurrentiels ici, en particulier dans ce qu’on appelle l’exploitation minière. Je veux dire le surplus d’électricité et le personnel bien formé disponible dans le pays.”
Vladimir Poutine
Des discussions au sein du gouvernement puis avec la Banque Centrale ont alors été évoqués par le président afin d’étudier la question. D’ailleurs, la position de la Banque Centrale avait alors créer de l’ambiguïté et laissait penser que la Russie changeait au gré des semaines, en effet, ses annonces publiques tranchaient avec le revirement du gouvernement au fil des semaines.
Actuellement, tandis que le gouvernement se penche sur la reconnaissance des cryptomonnaies comme monnaies étrangères, la taxation plus-values réalisées en cryptomonnaies ainsi que sur un cadre de loi régulant le minage sur son territoire (source), la Banque Centrale se penche sur l’élaboration de projets de lois visant à interdire l’émission et la circulation de cryptomonnaies dans le pays (source).
Contrairement à la Banque Populaire de Chine, la Banque centrale de la Fédération de Russie est juridiquement indépendante. Selon, la Constitution de la Fédération de Russie, la Banque Centrale de Russie détient tous les droit en matière d’émission et de stabilité monétaire indépendamment de l’État et l’article 25 de loi sur la Banque centrale de la Fédération de Russie confirme son indépendante par rapport aux structures gouvernementales fédérales, régionales et locales (source).
De fait, les prémisses d’un rapport de force entre le gouvernement et la Banque Centrale Russe se précisent. Parallèlement, la directrice de Binance, Olga Goncharova vient d’intégrer l’Association des Banques de Russie à la tête du centre de recherche et d’expertise sur la crypto créé ce mois-ci (source). Les acteurs crypto pourraient jouer un rôle décisif concernant les orientations finales de la Russie en matière de régulation crypto. Affaire à suivre.
“Stay turn”
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